Tri et valorisation des biodéchets : le retour à la source

01 03 2021
Pauline Petitot
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D’ici à fin 2023, chaque citoyen devra être doté d’une solution de tri à la source des déchets alimentaires. Collecte séparée, compostage de proximité, il appartient aux collectivités de faire les choix adaptés à leurs spécificités, et plus largement de s’engager pour le retour au sol des agréments organiques.

« Sortir les biodéchets des poubelles, dont le gisement s’élève à 22 millions de tonnes pouvant être valorisées. » La Feuille de route Économie circulaire réaffirme l’objectif de la Loi de transition énergétique de doter tous les Français d’une solution de tri à la source des biodéchets d’ici à 2025. Cette échéance a été rapportée au 31 décembre 2023 par la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (Loi AGEC), en application de la Directive déchets UE 2018/851. La marge de progression pour réduire et valoriser les biodéchets est importante, puisqu’ils représentent un tiers du contenu des ordures ménagères résiduelles (OMR).
Compostage de proximité ou collecte séparée, il appartient aux collectivités de déployer les solutions techniques adaptées aux caractéristiques de leur territoire, pour capter le flux de déchets alimentaires encore présents dans nos poubelles. Le tri et la collecte des déchets verts, dont les caractéristiques sont différentes de celles des déchets alimentaires, font l’objet d’une gestion spécifique.

Seulement 150 collectivités

À l’heure actuelle, l’Ademe estime que moins de 8 % de la population bénéficie d’une solution de tri à la hauteur des ambitions de la loi, et que seulement 150 collectivités ont mis en place une collecte séparée des biodéchets. Pourtant, les déchets alimentaires – déchets de cuisine et de table – se situent au carrefour de plusieurs enjeux de l’économie circulaire : environnemental, économique et local. Il s’agit en effet d’éviter le recours à l’incinération et à l’enfouissement des biodéchets, qui détruisent la matière organique à valoriser, et de favoriser leur retour au sol sous la forme de compost ou encore de digestat, à l’issue d’un processus de méthanisation. De plus, la production de biodéchets est généralement traitée et retourne au sol sur le même territoire, dans un circuit court créateur d’emplois locaux. Dans cette perspective, il convient pour les collectivités et les acteurs impliqués de mettre en place une off re effective et pérenne de tri pour les particuliers comme pour les professionnels, mais aussi de s’assurer de la qualité des matières qui seront retournées au sol, tout en saisissant l’opportunité de dynamiser l’économie locale.

Le choix des solutions

Déployer des solutions de tri à la source nécessite une connaissance fine de son territoire : « C’est le diagnostic territorial qui va déterminer la bonne solution », affirme Christelle Rivière, ingénieure gestion des déchets chez Amorce*. En effet, selon les spécificités de son territoire, ainsi que les acteurs mobilisés ou mobilisables, la collectivité peut se tourner vers une gestion de proximité, avec du compostage individuel ou collectif, et/ou vers une collecte séparée, en porte à porte ou en point d’apport volontaire. Il est donc essentiel pour choisir une solution adaptée de tenir compte de plusieurs caractéristiques : la typologie de l’habitat (présence de jardins, d’espaces verts), les catégories d’usagers (particuliers, professionnels, administrations, agriculteurs), les acteurs locaux du compostage de proximité ou les filières de valorisation comme les unités de méthanisation, et enfin la caractérisation des OMR.

Collecte biodéchets Paris
Le composteur collectif du jardin du Ver Têtu (19e arrondissement) / © Ville de Paris

Les solutions déployées peuvent être complémentaires. Le réseau CompostPlus rassemble élus et techniciens de collectivités engagées dans le tri à la source des biodéchets, et sa déléguée générale, Mathilde Borne, illustre : « Paris, par exemple, mène une réflexion pour proposer une multitude de solutions selon les quartiers. Dans certaines zones, l’ajout de bacs de collecte n’est pas possible. La Ville va donc se tourner vers d’autres idées, comme des composteurs collectifs dans les espaces publics, ou encore proposer des points d’apport volontaire sur les marchés. » Quand cela est possible, le compostage de proximité peut être développé. « L’objectif est le même, à savoir détourner les biodéchets du flux des ordures ménagères, dans le but d’un retour au sol de qualité, complète Mathilde Borne. Mais l’impact auprès de la population est plus important, car la gestion de proximité crée du lien social et permet de donner du sens au geste de tri. »

Ainsi les collectivités parviennent plus aisément à faire adhérer les ménages à ce changement d’habitudes. C’est le point de vue de Nantes, qui a lancé une expérimentation de collecte en 2019. Claire Canonne, cheffe de projet biodéchets à la Métropole, témoigne : « Nous pressentons que là où il y a des jardins et des espaces verts en pied d’immeuble, nous allons le plus possible proposer des composteurs individuels et partagés. Nous réalisons régulièrement des caractérisations d’ordures ménagères (MODECOM), qui nous permettent de juger la part des biodéchets qu’il faut encore capter. La collecte séparée sera mise en place là où le compostage de proximité n’arrive plus à détourner les déchets alimentaires. »

Mobilisation des producteurs de biodéchets

Une communication importante et régulière en amont du projet, puis ponctuellement une fois le dispositif installé, est par ailleurs incontournable pour sensibiliser et former les producteurs de biodéchets et parvenir à une dynamique réussie. Il faut en effet mobiliser tous les relais possibles du territoire, qu’il s’agisse des élus locaux, du personnel de mairie, des agents chargée de la collecte, des bailleurs sociaux, des gardiens d’immeubles, etc. « En plus de campagnes de communication dans la durée, il faut faciliter l’adhésion des usagers en fournissant des outils de pré-collecte pratiques, assortis de consignes de tri claires », ajoute Christelle Rivière : équiper les ménages en bio-seaux ajourés et sacs compostables, pour le tri dans les cuisines, afin d’éviter les inconvénients liés à la macération des matières organiques, comme les odeurs; mettre à disposition des bacs avec une cuve réductrice pour éviter le dépôt des déchets verts et de forme sphérique pour faciliter le lavage.
En cas de points d’apport volontaire, la collectivité peut opter pour des bacs en pied d’immeuble, avec un cache-conteneur ou dans une cuve en inox, dans une colonne enterrée ou semi-enterrée afin de s’intégrer dans l’environnement, toujours avec le souci d’entretenir la propreté des points d’apports. Puis la collectivité doit engager une phase d’expérimentation, qui lui permet de réaliser des ajustements. L’impact du tri à la source pourra être mesuré selon le poids des ordures ménagères résiduelles, avant et après la mise en place du tri, ou grâce à la pesée des biodéchets déposés en points d’apport volontaire. Pour l’Ademe, un tri à la source serait efficace lorsqu’une collectivité collecte des quantités d’OMR inférieures à 120 kg/hab/an en milieu rural, et inférieures à 220 kg/hab/an en zone urbaine.

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Repenser le service public

Se mettre en ordre de marche pour répondre à l’obligation d’ici fin 2023 représente un coût pour les collectivités. Différentes aides sont mobilisables auprès de l’Ademe, dans le cadre du Fonds Économie circulaire, notamment pour les études préalables d’aide à la décision, l’accompagnement au changement de comportement, l’expérimentation de la collecte séparée des biodéchets et sa mise en oeuvre ou encore pour le financement des installations de valorisation, comme les plateformes de compostage et les unités de méthanisation. Des appels à projets ciblés sur la généralisation du tri à la source des biodéchets ont été également programmés par certaines Ademe régionales jusqu’en 2023. Enfin, le conseil régional et le conseil départemental peuvent proposer, sur le volet gestion et traitement des biodéchets, des aides à la réalisation de projets en faveur d’une économie circulaire. Mais il est possible aussi d’actionner des leviers d’optimisation. « La généralisation du tri à la source des bio- déchets est l’occasion de repenser le service public de gestion des déchets (SPGD) de la collectivité, conseille Mathilde Borne. Par exemple, elle peut réduire la fréquence de collecte des OMR, puisque les poubelles ne sont plus censées contenir de putrescibles.» La réduction des tonnages d’OMR à stocker ou à incinérer permet par ailleurs d’agir sur le coût global du SPGD, grâce aux économies réalisées sur le traitement de ces dernières, accentuées à moyen terme par l’augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), qui vise à rendre plus chère l’élimination que la valorisation. La déléguée générale de CompostPlus ajoute également « qu’il est possible de pratiquer une tarification incitative, couplée à la collecte séparée des déchets alimentaires, calculée en fonction de différents paramètres tels que la qualité des apports, les ratios de collecte, le coût du service ou encore l’existence ou non d’une collecte séparée des biodéchets. »
La généralisation du tri à la source concerne tous les producteurs de biodéchets, y compris les gros producteurs, comme les professionnels de la restauration. « Les collectivités ne sont pas obligées de les intégrer dans le développement de leurs solutions. Mais si elle les inclut dans la collecte séparée, ces professionnels paieront une redevance, qui peut s’inscrire dans l’idée de la refonte des schémas de collecte et de l’optimisation des coûts du service. »

Agrément de qualité

Dans la mesure où les biodéchets ne sont plus considérés comme des déchets mais comme une ressource de l’économie circulaire, leur gestion séparée va déboucher sur leur valorisation organique et/ou énergétique dans le but de les retourner au sol sous forme de fertilisants naturels. En amont de leur démarche, les collectivités doivent associer les acteurs qui utiliseront les matières organiques, comme le compost et le digestat, dès le début du projet de valorisation des biodéchets, pour que les caractéristiques répondent à leurs besoins : agriculteurs, paysagistes, particuliers, etc. « Compostage ou méthanisation, les collectivités s’organisent en fonction de ce qui existe sur leur territoire, et en fonction de ce vers quoi elles souhaitent aller », résume Mathilde Borne. L’essentiel étant de garantir la qualité des amendements. Ainsi, le compost issu de biodéchets utilisé en tant que matière fertilisante doit répondre à la norme amendement organique NFU 44-051. Les producteurs de compost peuvent s’engager aussi dans une démarche qualité (ISO 14001 ou 9001) et, depuis 2012 obtenir la certification “utilisable en Agriculture Biologique”.
Enfin, une plateforme de compostage peut obtenir, depuis 2014, le label ASQA (Amendement Sélectionné Qualité Attestée), qui a été créé par CompostPlus. Fruit d’une collaboration avec les collectivités, les opérateurs des plateformes de compostage, les chambres d’agriculture et l’Ademe, il constitue un référentiel qualité qui combine des exigences de produit et de management.

Projet de décret

La recherche d’une logique d’économie circulaire et locale, permettant le retour au sol de matières organiques de qualité au service de l’agriculture, de l’économie locale, et du moindre recours à des produits phytosanitaires, est vouée à monter en puissance dans les territoires. Aussi, un projet de décret dit de “socle commun” relatif aux critères de qualité agronomique et d’innocuité pour les matières fertilisantes et les supports de culture (MFSC) est actuellement en discussion. Le texte fait toutefois l’objet de critiques par les professionnels des filières déchets, eau et énergie : ainsi vingt structures représentatives – parmi lesquelles Amorce, le Club Biogaz, le Cibe, la Fnade – ont co-signé fin janvier une motion commune visant à alerter le gouvernement sur l’impact du projet de décret sur les filières de traitement des biodéchets ménagers et assimilés, boues d’assainissement et cendres des chaufferies biomasse des collectivités. Loin de l’effet escompté , la filière prédit que « si la formulation du texte n’évolue pas, d’importants flux de matières fertilisantes issues des activités citées seraient détournées du retour au sol. »

 

Pour aller plus loin :

• Guide DT116, “Quelle stratégie de déploiement du tri à la source des biodéchets ?”, Amorce
• Guide pratique, “La collecte séparée des biodéchets, une solution d’avenir”, Compost Plus
• “Comment réussir la mise en oeuvre du tri à la source des biodéchets ?”, Ademe
 

* Des citations sont extraites de la conférence “Biodéchets en milieu urbain” organisée dans le cadre de Pollutec Online en décembre 2020

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