Transport : Quelles mesures pour soutenir le parent pauvre des CEE ?

15 04 2021
Thomas Blosseville
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Les transports représentent une part marginale dans les actions soutenues par les certificats d’économies d’énergie. Pour y remédier, plusieurs fiches et programmes sont en cours de préparation ou de révision.

C’est presque le maillon faible des certificats d’économies d’énergie (CEE). Le secteur des transports bénéficie certes de 32 fiches CEE standardisées et de divers programmes d’aides tels que Moebus (acquisition par les collectivités de bus électriques) ou Acote (sensibilisation des collectivités locales au covoiturage (Voir Énergie Plus n°638). Il n’empêche : « les transports ne contribuent pas aux CEE autant qu’ils le devraient », analyse Marc Gendron, délégué général du Club CEE de l’Association technique énergie environnement (ATEE). Le ministère de la Transition écologique a beau assurer que « le nombre d’opérations CEE dans le secteur des transports est en augmentation », les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur la période en cours, du 1er janvier 2018 au 28 février 2021, seuls 3,8 % des CEE classiques et précarité ont été délivrés dans les transports. Très loin derrière le bâtiment, qui concentre 76,6 % du dispositif et nettement moins aussi que l’industrie (17 %). « On pense beaucoup aux CEE pour la rénovation énergétique, mais moins pour les transports, qui font pourtant aussi l’objet d’une ambition politique », observe Mathias Laffont, directeur économie, mobilité et bâtiment à l’Union française de l’électricité (UFE). « Ce n’est pas seulement la responsabilité de l’administration. C’est aussi dû à l’écosystème d’acteurs. Il y a beaucoup plus de parties prenantes dans la rénovation que dans la décarbonation des transports ».

Recherche de gisements

L’enjeu est tout de même de taille. Les transports représentent 32 % de la consommation finale d’énergie en France, d’après les données du ministère de la Transition écologique pour 2019. Lequel confirme son souhait que « davantage d’énergie soit économisée dans le secteur », notamment grâce aux CEE. « L’Ademe et le groupe de travail transports de l’ATEE réfléchissent à de nouveaux gisements », signale le ministère. Comment expliquer un tel déséquilibre ? « C’est en grande partie dû au caractère diffus et hétérogène du secteur des transports qui compte de nombreux sous-secteurs », décrypte Louis- Arnaud Pechenart, chargé de projet chez ACE Énergie, un délégataire CEE qui finalise une étude sur le sujet. Dans le cas des véhicules individuels, la réglementation est déjà bien contraignante. Difficile de trouver avec les CEE des actions pour obtenir des gains encore plus élevés en termes d’économies d’énergie ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Par ailleurs, l’État dispose d’autres leviers comme la prime à la conversion et le bonus-malus automobile. En conséquence, les primes accordées par les CEE apparaissent trop faibles. « À plusieurs reprises, en vain, nous avons demandé une meilleure valorisation des fiches CEE statistiquement peu utilisées qui soutiennent l’acquisition de véhicules peu émetteurs », témoigne Mathias Laffont, de l’UFE. « Pour un modèle électrique, on a un montant d’aide de 280 euros qui ne suffit pas à encourager le passage à lacte ». Dans d’autres cas, ce sont les contraintes imposées par les fiches elles-mêmes qui peuvent dissuader. « Par exemple, pour l’acquisition ou la location d’une barge fluviale neuve, il faut justifier du tonnage transporté sur six mois », pointe le délégataire ACE Énergie.

Les CEE dans les transports
D’après le ministère de la Transition écologique, le nombre d’opérations CEE standardisées engagées en 2019 dans les transports a atteint :
- 39 000 injections de lubrifiant pour véhicules légers ;
- 20 000 formations d’un chauffeur à la conduite économe ;
- 16 000 suivis des consommations par des cartes carburants ;
- 10 000 véhicules de transport de marchandises optimisés ;
- 8 000 télématiques embarquées pour le suivi de la conduite  ;
- 5 000 services d’autopartage en boucle  ;
- 1 000 stations de gonflage des pneumatiques ;
- 800 unités de transport intermodal rail-route.

Plus généralement, la facilité à utiliser une fiche CEE dépend de la cible visée. « Dans le ferroviaire, il est nécessaire de faire connaître le dispositif et les actions éligibles, mais il y a finalement assez peu d’opérateurs et ce sera une approche entre professionnels », illustre Sébastien Timsit, directeur général d’ACE Énergie. Pour la mobilité du quotidien, celle des particuliers, l’approche est moins évidente. Une interrogation subsiste : faut-il faire porter d’éventuelles nouvelles fiches au niveau de l’usager ? Ou de l’entreprise qui lui met à disposition un bien ou un service ? Une fiche destinée à soutenir l’utilisation du vélo, par exemple, est en cours de révision. Elle est trop peu rémunératrice, bien que facile à mettre en oeuvre. Parmi les pistes d’amélioration envisagées, la réflexion porte sur le montant de l’aide, mais surtout sur son bénéficiaire. L’idée serait de l’accorder non plus à l’usager, mais au vendeur ou au loueur de vélo. De même, des réflexions sont menées sur l’autopartage. Il existe une fiche pour les offres en boucle, pour ramener le véhicule là où on l’a emprunté. Mais elle est peu utilisée car, là-aussi, trop éloignée de la réalité du terrain. « Pour en bénéficier, il faut en plus disposer d’un abonnement au service d’autopartage, une approche complètement obsolète à l’heure des services immédiatement accessibles par smartphone », assène Marc Gendron.

Différents sous-secteurs

Ferroviaire, aéronautique, maritime… Chaque sous-secteur représente en fait une situation particulière. Le ferroviaire pourrait rapidement faire l’objet de nouveautés. Des projets de nouvelles fiches existent, par exemple pour aider à l’acquisition de locomotives neuves performantes pour le fret. « Une telle fiche pourrait sortir en 2021 », prévoit Marc Gendron. Autre piste : déployer des systèmes “stop & start” sur les locomotives pour réduire leurs consommations lorsqu’elles tournent au ralenti. Une fiche est en cours de finalisation sous la houlette de l’entreprise de travaux publics Colas Rail (voir encadré).

Le stop & start dans le ferroviaire
Les locomotives tournent souvent au ralenti. Sur ce constat, l’entreprise de travaux publics Colas Rail a mené une expérimentation en équipant 6 locomotives d’instruments de mesure pendant 6 mois, en couvrant 3 cas d’utilisation : triage des wagons, fret et travaux sur voies ferrées. Résultat ? « Il y a une idée reçue selon laquelle, au ralenti, les locomotives ne consomment pas d’énergie », raconte Stéphane Houriez, ingénieur études, développement et innovation au service ingénierie de maintenance de Colas Rail. « En réalité, au ralenti, elle consomme 37 litres de diesel par heure » Colas a donc conçu – et commercialise – un système stop & start pour éviter cette consommation de carburant à l’arrêt. Une fiche CEE est en cours de finalisation pour encourager les opérateurs à acquérir ce dispositif baptisé Ecostop, sachant qu’il existe en France 1 800 machines de manoeuvres et 2 500 locomotives de frets ou de travaux concernées. Ecostop permet d’économiser en moyenne 1 000 euros par mois de diesel et, sur un coût unitaire de 42 000 euros, les CEE pourrait en prendre en charge 40 %.


Dans l’aéronautique, un pas a été fait avec le programme CEE Easee lancé l’an dernier. « Ce programme est un tremplin vers la démarche Aca initiée par l’Association européenne des aéroports ACI Europe », décrit Nicolas Paulissen, délégué général de l’Union des aéroports français. Cette démarche européenne nommée Aca pour « Airport carbon accredition » vise à réduire les émissions de CO2 des exploitants d’aéroports. « Mais nous avons constaté qu’elle était surtout suivie par les grands aéroports, alors que notre secteur est avant tout constitué de PME : 90 % de nos adhérents ont moins de 250 salariés, 60 % moins de 50 », souligne Nicolas Paulissen. L’objectif du programme CEE Easee est donc d’embarquer tous les aéroports, quelle que soit leur taille, dans une démarche de transition énergétique. « Nous avons été agréablement surpris des premiers retours. Nous avions une soixantaine d’aéroports engagés à la fin du premier trimestre ». Dans la pratique, Easee permet d’avoir recours à un cabinet de consultants pour établir le bilan carbone de l’aéroport et mettre en place un plan de réduction des émissions de GES. Charge ensuite aux exploitants de l’appliquer.
Au-delà de ce programme, le recours aux CEE dans l’aéronautique reste balbutiant. Des réflexions sont en cours, en particulier sur l’électrification des tarmacs. L’exemple souvent mis en avant est celui des APU, ces moteurs auxiliaires qui alimentent les avions au sol pour le chauffage et la climatisation des cabines. L’idée est de remplacer le kérosène qu’ils consomment par de l’électricité, éventuellement produite à partir d’hydrogène. La création d’une fiche CEE apporterait un soutien à la conversion des aéroports. « Le travail a commencé à l’été 2020 », situe Nicolas Paulissen, pour qui ce travail s’avère toutefois « complexe compte-tenu de la configuration des aéroports ».

Fluvial et maritime

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Côté maritime, le constat est tout aussi simple : « il y a très peu de CEE », résume Philippe Cauneau, ingénieur transports à l’Ademe. Il existe bien une fiche standardisée, mais dans le domaine spécifique de la pêche. « Sur chalutier de 24 mètres ou plus, le carburant représente 50 % des contraintes financières liées à l’exploitation », signale l’expert. Une fiche CEE a été créée pour encourager l’utilisation d’un lubrifiant permettant des économies sur la consommation de carburant. Avec une contrainte : les bateaux de pêche partent en mer pendant plusieurs jours, voire semaines, et se ravitaillent là où ils peuvent. Or, pour bénéficier du soutien des CEE, il faut démontrer que la majeure partie de l’approvisionnement a lieu en France. Toujours pour les navires de pêche, les CEE comptent aussi le programme Amarree (voir Énergie Plus n°652) lancé en 2018 pour trois ans. L’objectif initial était d’équiper 250 navires d’économètres, un instrument permettant à un patron- pêcheur de suivre la consommation de son navire en fonction de son mode de navigation, et de former 800 marins-pêcheurs. Mais fin 2020, ces objectifs n’avaient été atteint qu’à 15% pour les économètres et 11% pour les formations. Il a donc été décidé de prolonger le programme d’un an. « Le secteur de la pêche compte beaucoup d’artisans », rappelle Philippe Cauneau. « Les programmes CEE ne peuvent avoir d’effet que sur la durée ». Le frein étant essentiellement économique : immobiliser un bateau ou des marins représente une perte immédiate de chiffre d’affaires.

En dehors de la pêche, il n’y a ni fiche, ni programme CEE consacré au maritime, « même s’il y a des synergies potentielles avec des fiches d’efficacité énergétique dans l’industrie, par exemple pour le pilotage des pompes », suggère l’ingénieur de l’Ademe. Cela dit, le maritime concerne souvent des transports internationaux non-éligibles aux CEE. À l’exception peut-être des liaisons entre la France continentale et la Corse ou les îles bretonnes. Reste le cas du fluvial, qui bénéficie de six opérations standardisées. Par exemple, pour l’achat d’une péniche neuve et le nettoyage de la coque. Mais ces fiches standardisées sont peu utilisées, en partie à cause d’une méconnaissance du dispositif. « Dans la perspective de la cinquième période des CEE, nous essayons de monter un programme pour le transport fluvial », révèle l’expert de l’Ademe. Le but est de faire adhérer les bateliers à un système d’engagement volontaire, à l’image de ce qui existe pour réduire les émissions de CO2 dans le transport routier. Ce programme offrirait aussi l’occasion d’expérimenter de nouveaux systèmes de propulsion. Sa préparation est assez avancée pour que des objectifs soient fixés : un budget de 9 millions d’euros pour générer 1 800 GWhcumac d’économies d’énergie. « En sensibilisant 200 opérateurs, en réalisant 450 diagnostics énergétiques, en lançant 45 expérimentations et 100 fiches actions, et en finançant une trentaine d’études de faisabilité sur des projets de report modal ».

Électrification des mobilités

Quand on évoque la transition énergétique dans les transports, la question de leur électrification n’est jamais loin. Divers secteurs réfléchissent à faire appel aux CEE pour soutenir la conversion de leur matériel roulant. Outre l’aéronautique déjà évoquée pour les APU, c’est le cas du BTP et de la logistique. « La difficulté tient au fait que les CEE ne sont pas adaptées à l’électrification. Le mode de calcul des primes accorde peu de valeur à la substitution d’un carburant par un autre », analyse Marc Gendron, de l’ATEE. Contacté à ce sujet, le ministère de la Transition écologique insiste d’ailleurs sur un point : « l’électrification des mobilités n’est pas une solution d’économie d’énergie ».

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Pourtant, le programme CEE Advenir a bénéficié en 2020 d’un vrai coup d’accélérateur. Il soutient le déploiement de bornes de recharge et sa nouvelle phase a démarré l’an passé avec un budget multiplié par 5 pour atteindre 100 millions d’euros. Les cibles restent les mêmes : points de charge accessibles au public en voirie, dans les copropriétés et les parkings de flottes. Mais une nouvelle a été ajoutée : « les hubs de charge pour répondre à un besoin de recharge d’appoint aussi bien des particuliers que des professionnels », explique Cécile Goubet, déléguée générale de l’associa tion Avere-France, qui porte le programme. Ces “hubs” constituent une forme de stations-services dédiées à la mobilité électrique (voir encadré).
A noter aussi : Advenir finance la modernisation des bornes déployées dans les territoires pionniers en 20132014. « Nous sommes aussi en train d’étudier la possibilité de créer des fiches CEE pour de nouvelles cibles, par exemple pour l’acquisition de poids- lourds électriques, camions, cars, etc », ajoute Cécile Goubet. Un consensus existe sur le besoin, mais pas encore sur les modalités d’application.

Des hubs de recharge électrique
La nouvelle phase du programme CEE Advenir comprend une cible inédite : le financement de hubs de recharge, autrement dit des stations-services destinées à la mobilité électrique. Sont éligibles les projets sur le territoire français à l’exclusion des aires de service du réseau routier national et des autoroutes, lesquels sont par ailleurs éligibles à un soutien dans le cadre du plan de relance. Ces hubs de recharge seront soutenus en fonction de leur niveau de raccordement (100 000 euros à partir de 500 kVA, 160 000 euros au-delà de 1000 kVA et 240 000 euros au-delà de 2 000 kVA). Mais pour être considérés comme des “hubs”, il faudra un nombre minimal de points de charge : 4, 8 ou 12 points selon les puissances de raccordement. À noter aussi : l’intégration d’un système de primes supplémentaires, par exemple si le hub est situé en ville, dans une zone à faibles émissions.

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