Contenir le réchauffement climatique sous 1,5°C, « une fenêtre d’opportunité qui se referme »

08 11 2022
Clément Cygler

Si les politiques actuelles perdurent, le réchauffement climatique pourrait atteindre les 2,8°C au cours du XXIe siècle, alerte dans son dernier rapport le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), quelques jours avant que débute la COP 27 à Charm el-Cheikh en Égypte.

L'an passé, à la 26e Conférence des parties (COP 26) à Glasgow (Écosse), les États avaient promis d’accroître leurs efforts pour respecter l’Accord de Paris de 2015. L’objectif ? En révisant leurs engagements individuels, appelés contributions déterminées au niveau national (CDN), ils devaient circonscrire le réchauffement climatique à 1,5°C en 2100, et au maximum à 2°C, par rapport à l’ère préindustrielle. Un an plus tard, et quelques jours avant la COP 27, qui s’est ouverte à Charm el-Cheikh (Égypte) le 6 novembre, le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) fait le point sur l’effi - cacité de leurs engagements dans sa publication intitulée « Rapport 2022 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions : une fenêtre d’opportunité se referme ».

Le constat est sans appel. « Aucune voie crédible n’a été mise en place » pour atteindre cet objectif. Sans action supplémentaire, les politiques actuelles entraîneraient une hausse de la température moyenne de 2,8°C. « Nous nous dirigeons vers une catastrophe mondiale », a alerté le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. 

Des objectifs nationaux trop bas

Principal problème : les CDN, inconditionnelles comme conditionnelles, ne sont pas assez ambitieuses. Pour rappel, cette distinction a été introduite principalement dans les États en voie de développement. Les contributions inconditionnelles sont celles que les pays pourront mettront en œuvre sans condition, en s’appuyant sur leurs propres ressources et capacités. Les CDN conditionnelles sont subordonnées à l’apport d’un appui financier de la communauté internationale ou à la mise en œuvre d’autres conditions.

Ainsi, selon le Pnue, si tous les États respectaient leurs CDN inconditionnelles uniquement, le réchauffement aurait 66 % de chances de s’élever à 2,6°C d’ici la fin du siècle. Si en plus, ils parvenaient à honorer leurs CDN conditionnelles, il devrait atteindre 2,4°C. Dans le meilleur des cas, la mise en œuvre complète des CDN ainsi que des engagements supplémentaires pour parvenir à l’objectif “zéro émission nette”, pris jusqu’à aujourd’hui par 88 États, laisserait entrevoir une augmentation de 1,8°C. « Toutefois, ce dernier scénario n’est pas crédible à l’heure actuelle. Dans la plupart des cas, ni les politiques actuelles, ni les CDN ne tracent une voie réaliste pour 2030 vers l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 », précise le Pnue. Ce constat est d’autant plus vrai que les émissions de gaz à effet de serre (GES) poursuivent leur progression.

Après une année de baisse en 2020, en raison de la crise sanitaire du covid-19, les émissions sont reparties à la hausse. Entre 2019 et 2021, elles ont augmenté de 0,4 % (en excluant le changement d’utilisation des terres ou la déforestation) pour atteindre 52,8 gigatonnes d’équivalent CO2. Sur la base des politiques actuellement menées, les émissions en 2030 sont estimées à 58 GtCO2e, soit un écart de moins de 3 GtCO2e avec l’application des CDN inconditionnelles (55,4 GtCO2e), et de 6 GtCO2e pour les conditionnelles (52,4 GtCO2e). Cela souligne un défaut d’application de ces mesures au niveau national.

Ainsi, et par rapport au scénario «Politiques actuelles», les CDN soumises à l’ONU ne réduiraient les émissions mondiales que de 10 % en 2030. Bien loin des 30 % indispensables en 2030 pour limiter le réchauffement planétaire à 2°C en 2100, sans parler des 45 % pour se placer sur la trajectoire des 1,5°C.

En d’autres termes, dans le cas de la mise en œuvre intégrale des CDN, l’écart d’émission en 2030 serait au mieux de 12 GtCO2e par an pour une trajectoire de 2°C et de 20 GtCO2e pour une trajectoire de 1,5°C.

« Une année gâchée »

À ce stade, déplore Inger Andersen, directrice exécutive du Pnue, l’approche par étape ne suffit donc plus. « Nous avons besoin d’une transformation à l’échelle du système », écrit-elle. Pour l’instant, malgré l’appel lancé lors de la COP 26 à Glasgow aux pays pour qu’ils renforcent leurs objectifs 2030, les progrès depuis l’an passé sont « très insuffisants ». Pour les scientifiques, l’année aurait même été « gâchée ». Les CDN soumises après la dernière COP ne devraient entraîner qu’une réduction supplémentaire de 0,5 GtCO2, soit moins d’1 % des émissions mondiales prévues pour 2030. De nouveaux efforts sont donc attendus.

Impact des CDN actualisées sur les émissions des gaz à eff et de serre par rapport aux CDN précédentes (en milliard de tonnes d’équivalent CO2)
Impact des CDN actualisées sur les émissions des gaz à eff et de
serre par rapport aux CDN précédentes (en milliard de tonnes
d’équivalent CO2)

En effet, si une transformation sectorielle vers la neutralité carbone est en cours, en particulier dans le domaine de la production d’électricité, de l’industrie, des transports et du bâtiment, elle « doit être beaucoup plus rapide afin d’atteindre le rythme et l’ampleur nécessaires pour limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2°C, de préférence à 1,5°C », soulignent les auteurs.

Le secteur de l’approvisionnement en électricité est le plus avancé, grâce à la réduction considérable des coûts de l’électricité renouvelable. Le Pnue préconise une nouvelle fois aux États d’arrêter les subventions aux énergies fossiles, mais aussi d’adapter les règles du marché de l’électricité à une plus grande part d’énergies intermittentes.

Dans l’industrie, la décarbonation complète doit être initiée dès aujourd’hui par l’électrification et la transformation des process. L’intensité carbone de la production mondiale de ciment doit par exemple être réduite respectivement de 40 % d’ici à 2030 par rapport à 2015, et d’au moins 85 à 91 % à horizon 2050. Développer et intégrer la production d’hydrogène vert est également indispensable, notamment pour les filières à forte intensité énergétique qui ne peuvent pas utiliser l’électricité. Enfin, les systèmes alimentaires, qui représentent un tiers de l’ensemble des émissions, doivent être réformés, en modifiant les régimes alimentaires et en décarbonant la chaîne d’approvisionnement.

Ce basculement mondial vers une économie à faible émission carbone devrait nécessiter des investissements d’au moins 4 à 6 000 milliards de dollars américains par an, pour le Pnue. Selon ses estimations, il s’agit d’une part relativement faible (1,5 à 2 %) du total des actifs financiers gérés, mais significative (20 à 28 %) en termes de ressources annuelles supplémentaires à allouer. Pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), les investissements actuels doivent donc être multipliés par trois à six, voire encore davantage pour les pays en développement.

Parmi les six approches identifiées par les auteurs pour effectuer ce basculement financier, il faudrait introduire une tarification du carbone ou créer des banques multilatérales de développement. 

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