L’adaptation des forêts au changement climatique, un processus assez engagé ?

06 12 2022
Léa Surmaire
ONF
Des graines récoltées dans le sud de la France deviennent de jeunes pousses dans la pépinière de Guémené-Penfao (Loire-Atlantique).

Après l’invasion d’insectes parasites – les scolytes – entre 2018 et 2021, l’été 2022 a été marqué par une sécheresse accrue et des incendies dévastateurs dans les forêts françaises. Pour résister, elles doivent s’adapter. Comment ? L’État investit-il assez pour les accompagner ?

Planter un milliard d’arbres d’ici 2030, soit « 10 % de notre forêt publique ». C’est l’objectif énoncé par Emmanuel Macron en octobre dernier pour compenser les pertes des incendies estivaux et adapter les forêts françaises au réchauffement climatique. 250 millions d’euros ont pour l’instant été fléchés à cette fin pour l’année 2023. Une annonce vite jugée « infaisable humainement et techniquement » par le SNUPFEN Solidaires, le premier syndicat à l’Office national des forêts (ONF), rappelant qu’« il faut des bras pour planter, préparer le terrain, entretenir, et qu’il faut d’abord trouver les graines, élever les jeunes plants et les replanter ». À ce jour, où en sont les forêts françaises face au changement climatique ? 

Le changement climatique, la pire menace

En France, la plus grande menace de dépérissement des forêts n’est pas la déforestation mais le changement climatique, selon Isabelle Chuine, chercheuse au centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE) du CNRS. En effet, l’augmentation des températures, les sécheresses et les hivers doux entraînent du stress hydrique pour les arbres, une plus forte présence d’insectes parasites tels que les scolytes entre 2018 et 2021, une extension des feux de forêts ou encore une surpopulation d’ongulés (sangliers, cerfs, chevreuils) qui détériorent les jeunes pousses.

Ainsi, selon l’ONF, entre 2018 et 2020, plus de 300 000 ha de forêts publiques (sur 4,3 millions d’ha) ont subi un « taux de mortalité inédit ». Cette tendance diminue les puits de carbone, indispensables dans la lutte contre le changement climatique puisque nos forêts, dans leurs végétaux et sols, stockent 15 % des émissions annuelles de CO2, selon la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) - Auvergne-Rhône-Alpes. Ce pourcentage atteindrait même à 25 % avec la valorisation du bois.

La « forêt mosaïque » déjà en cours

Face au changement climatique, les forêts n’ont pas le temps de se régénérer naturellement. D’après l’ONF, leurs capacités naturelles de résilience sont en moyenne dix fois trop lentes. Pour les adapter, l’établissement public promeut donc la généralisation d’un concept de sylviculture, la « forêt mosaïque ». Premier objectif : accompagner la régénération naturelle, « partout où elle est possible », c’est-à-dire là où les sols peuvent retenir suffisamment l’eau pour éviter l’« inconfort climatique ». Ainsi, en forêt publique, environ 80 % du renouvellement est effectué à partir des graines issues des arbres en place.

En parallèle, pour améliorer la résilience du peuplement, il faut diversifier les essences. Ces dernières doivent aussi être sélectionnées en fonction du climat futur, tout en conservant au maximum les propriétés de celles déjà en place. Pour cela, de nombreux outils de cartographie et de fiches ont été développés par le réseau français pour l’adaptation des forêts au changement climatique (Aforce) comme « ClimEssence », ou encore des coopérations transnationales comme le projet Alptrees dans l’espace alpin.

forêt mosaïque ONF

Dans l’hexagone, des expérimentations sont actuellement en cours (voir Énergie Plus n°655). Avec le projet Giono, la « migration assistée des essences » est testée depuis 2011. Elle consiste à planter des chênes et hêtres du sud dans le Grand-Est pour évaluer, sous 70 ans, leur reproduction avec les arbres naturellement présents, et la résistance de cette nouvelle forêt à la hausse des températures.

Autre test, avec un temps de recherche de 20 à 30 ans seulement : « les îlots d’avenir ». Une seule essence, du sud de la France ou de pays méridionaux, est plantée et surveillée sur des petites parcelles tests de 0,5 à 2 ha. En 2022, 200 îlots ont ainsi été plantés. Dans 20 ans, ils devraient ainsi représenter 0,5 % des forêts de la surface des forêts domaniales.

Pour accompagner la pousse des nouveaux plants, insiste l’ONF, il faut également diminuer la population des ongulés actuellement trop importante.

Enfin, comme l’ont rappelé 600 scientifiques, associatifs et professionnels du bois dans une tribune au Journal du Dimanche au début de l’année, la stratégie d’adaptation ne peut se « résumer à un programme massif de plantations » mais doit surtout « maintenir le couvert forestier existant ». D’autant plus que plusieurs dizaines d’années sont nécessaires pour restaurer un écosystème forestier.

L’État, premier protecteur de la forêt ?

Des stratégies d’adaptation sont donc travaillées. Mais l’État français investit-il assez pour les mettre efficacement en place ? C’est la question à laquelle a répondu l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) dans un rapport paru en septembre 2022. Il s’appuie sur les actions proposées dans « la feuille de route pour l’adaptation de la forêt » publiée en 2019 et aux Assises de la Forêt et du Bois en 2021-2022.

Verdict : après des « décennies plutôt marquées par un sous-investissement », étayé par la Cour des Comptes en 2020, « les plans mis en place au cours des deux dernières années semblent à la hauteur des enjeux en termes de montants engagés (…) à condition que les moyens annoncés soient effectivement engagés », écrivent ses auteurs. Sont notamment concernées les ressources destinées aux propriétaires de forêts et à l’adaptation de la filière graine et plants.

Toutefois, en ce qui concerne la modernisation des industries de transformation, l’aval de la filière, si les moyens mobilisés semblent amorcer une « dynamique très encourageante », son effet d’entraînement « doit encore être confirmé ».

Et, les investissements dans la recherche, cruciaux, ne sont eux pas à la hauteur des besoins. En 2020, le rapport sur l’avenir de la forêt et de la filière bois de la députée Anne-Laure Cattelot recommandait un doublement des moyens. Cela correspondrait à un investissement additionnel de 200 millions d’euros par an. Depuis, le Gouvernement a annoncé un nouveau programme de recherche, doté de 50 M€, destiné à mieux aiguiller les opérations de boisement ou de reboisement. « On commence à se mettre sur la trajectoire, même s’il va falloir monter en charge dans les années qui viennent », commente Julia Grimault, autrice du rapport de l’I4CE.

Aussi, ces volumes financiers devront être « bien utilisés ». En effet, les deniers investis dans des plantations non adaptées au climat futur seront inutiles en cas de sécheresses ou d’attaques sanitaires…

Favoriser les espèces résilientes

Pour faire les bons choix, il faut, insiste l’I4CE, dédier assez de ressources aux capacités de veille sanitaire et de gestion de crise, à l’expérimentation ou encore à l’animation du dialogue forêt-société. Des actions « présentes dans les discours » mais dont le traçage du financement n’est « pas toujours évident ». I4CE estime les dépenses nécessaires pour ces « petites » actions à 25 M€ par an.

Pour les réaliser, des moyens humains sont indispensables. En effet, ces dernières nécessitent du temps et de l’expertise. Pourtant, la trajectoire constatée d’évolution des moyens des opérateurs publics contribuant à l’adaptation « semble aujourd’hui en contradiction avec l’évolution de leurs missions ». En vingt ans, l’ONF par exemple a perdu 38 % de ses effectifs. Et, un amendement du projet de loi de finance 2023 proposant l’ouverture de 4 000 nouveaux postes a été rejeté par l’Assemblée nationale.

En outre, pour être résilientes, les essences nouvellement plantées doivent être variées. Pour ce faire, dans le plan France Relance, un diagnostic climatique validé par un expert forestier (pas d’indépendance formelle requise) est exigé et les essences doivent être diversifiées à hauteur de 20 % minimum à partir de 10 ha. Certains acteurs, comme Canopée, jugent ce seuil de 10 ha trop « peu ambitieux ».

Aussi, l’association déplore que la principale opération demandée par les porteurs de projets (alors que ce n’était pas la seule option finançable) ait été la coupe rase suivie d’une plantation en quasi-monoculture. Des options telles que l’enrichissement des peuplements « pauvres » auraient pourtant pu être envisagées.

En réponse, des discussions sont en cours pour élargir la loi aux propriétaires de parcelles de 4 ha ou encore bonifier le taux d’aide pour les propriétaires engagés dans des démarches de certification environnementale FSC ou PEFC*. Selon le décompte d’I4CE, dans le cadre de France Relance, sur les 24 600 ha soutenus en 2021, 58 % concernaient les forêts sinistrés, 10 % des peuplements vulnérables et 32 % des peuplements pauvres. 

*FSC : Forest Stewardship Council ; PEFC : Programme for the Endorsement of Forest Certification Schemes

* FSC : Forest Stewardship Council ; PEFC : Programme for the Endorsement of Forest Certification Schemes

 

Un nouveau matériau pour surveiller les rejets de gaz radioactifs

24 02 2025
Olivier Mary

Des scientifiques ont mis au point un matériau qui permet de mesurer en temps réel et avec une excellente sensibilité des gaz radioactifs, tels que le tritium, le krypton 85 et le carbone 14. Le tout à des coûts maîtrisés.

Lire la suite

La SNBC et la PPE en concertation

18 02 2025
Olivier Mary

Les troisièmes éditions de la stratégie nationale bas carbone et de la programmation pluriannuelle de l’énergie sont en consultation. Avec le plan national d’adaptation au changement climatique, ces documents constituent la stratégie française pour l’énergie et le climat.

Lire la suite

Les premiers contrats CPB arrivent malgré quelques incertitudes

11 02 2025
Caroline Kim-Morange

Mi-2024 ont été publiés les textes donnant naissance au mécanisme de certificats de production de biogaz. La filière est en pleine ébullition : les producteurs et les fournisseurs négocient les premiers contrats, les acteurs convertissent certaines installations de cogénération ou en crééent de nouvelles. Le point sur les espoirs, les craintes et les propositions d’amélioration…

Lire la suite