5G: un impact environnemental encore difficile à mesurer

15 04 2021
Philippe Bohlinger
Adoobe Stock

Comment la France peut-elle composer entre son objectif de neutralité carbone et le déploiement massif de la 5G ? La hausse du trafic mobile couplée à ce nouveau standard, potentiellement plus énergivore, appelle à une prise de conscience globale de l’impact du numérique sur la planète.

La cinquième génération de réseau mobile dit “5G” est-elle une bonne ou une mauvaise nouvelle pour le climat ? Avec le lancement de ces nouvelles fréquences fi n 2020 dans l’Hexagone, les grandes agglomérations ont incité leurs concitoyens à se saisir de la question. Certes, les collectivités territoriales n’ont pas vocation à réglementer l’implantation des fameuses antennes-relais de téléphonie mobile, une prérogative de l’État. Mais la montée en puissance de la sensibilité écologiste dans les métropoles a ouvert la discussion. Ces débats publics ont notamment conduit Lille et Nantes à opter pour un moratoire temporaire sur le déploiement de la 5G. En mars dernier, la Ville de Paris a conditionné son accord à un suivi de l’impact environnemental de la technologie et à la constitution de nouvelles règles pour les opérateurs (recyclage, transparence de l’information sur l’installation des antennes, etc). Pour ces derniers, impossible de faire machine arrière sur ce nouveau standard de télécommunication. En 2022, les capacités des fréquences 4G arriveront à saturation, argumentent-ils. Le trafic mobile tiré par le streaming vidéo, progresse de 40 à 50% par an, d’où l’impérieuse nécessité d’améliorer le débit, la réactivité et la capacité du réseau à supporter un nombre important d’usagers. Ils évoquent également une course technologique mondiale lancée par la Chine et les États-Unis à laquelle ils comptent bien prendre part.

Absence d’évaluation préalable

L’impact sur la planète des technologies du numérique, dans leur globalité, a été démontré. Dans ce contexte, le Haut conseil pour le climat (HCC) regrette, dans un rapport de décembre 2020 (1), que « la mise à disposition de ces nouvelles fréquences 5G (3,5GHz) n’ait pas fait l’objet d’une évaluation environnementale préalable ». Le HCC constate que « des logiques économiques ont été favorisées : valorisation économique des fréquences pour l’État, compétitivité potentielle des entreprises françaises mais aussi égalité et cohésion des territoires ». Saisi par le Sénat, cet organisme d’évaluation des politiques publiques s’est donc penché sérieusement sur la question. Résultat, il estime que le déploiement de la 5G en France pourrait ajouter à l’horizon 2030, selon les scénarios, entre 2,7 et 6,7 millions de tonnes équivalent carbone (Mt éqCO2) dans l’atmosphère. Cela représente une hausse de 18 à 44 % de l’empreinte du numérique totale (15,1 Mt éqCO2 en 2020). À titre de comparaison, sur la période 2019-2033, la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) compte sur une baisse des émissions du secteur du bâtiment de 78 à 43 Mt éqCO2… Les deux-tiers de la hausse de ces rejets de CO2 seraient liés à l’importation accélérée de terminaux (smartphones, casques de réalité virtuelle, objets connectés, etc.) mais aussi d’équipements en réseaux et centres de données. Le tiers restant proviendrait d’une hausse des besoins en électricité entre 0,8 Mt éqCO2 à 2,1 Mt éqCO2 à l’horizon 2030, sur un budget carbone pour la production d’énergie de 30 Mt éqCO2.


antenne 5G

5G : pas de nouveau risque pour la santé
Très attendu par de nombreux acteurs, notamment certaines collectivités qui ont mis en place des moratoires, l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) sur la nouvelle génération de réseaux mobiles 5G a été rendu le 20 avril. Au vu des données disponibles, l’Agence considère comme peu probable que le déploiement de la 5G dans la bande de fréquences autour de 3,5 GHz constitue à l’heure actuelle de nouveaux risques pour la santé. Pour la bande de fréquences 26 GHz, les données ne sont, à l’heure actuelle, pas suffisantes pour conclure à l’existence ou non d’effets sanitaires. L’avis recommande donc de poursuivre les recherches sur l’exposition des populations à mesure de l’évolution du parc d’antennes et de l’augmentation de l’utilisation des réseaux. Consciente des controverses liées à la 5G, l’Anses a décidé de mettre son avis et le rapport de ses experts en consultation publique pendant six semaines. Les réactions ne se sont toutefois pas fait attendre, à l’image de la député européenne Michèle Rivasi qui a tweeté : « La mise en consultation publique du rapport n’est qu’un simulacre d’exercice de démocratie sanitaire et de science citoyenne. En réalité, les décisions ont déjà été prises ».


Numérique contre isolation thermique

À priori, le Système européen d’échanges de quotas d’émission (SEQE) garantit que le déploiement de la 5G s’insère dans les quotas négociés. Mais il ne garantit ni les effets éventuels sur le coût de l’électricité, ni « l’atteinte des objectifs de la France, et encore moins des budgets carbones sectoriels », précise le HCC. Le déploiement de la 5G risque de se traduire dans la consommation électrique de la France. La hausse atteindrait entre 16 TWh et 40 TWh en 2030, soit entre 5 et 13 % de la consommation d’électricité du résidentiel-tertiaire en 2019. Dès lors, on peut s’interroger. Les économies espérées à cet horizon grâce à l’isolation thermique des bâtiments vont-elles s’évaporer dans le numérique ?
Michel Combot, directeur-général de la Fédération française des télécoms (FFT) éclaire le débat à l’aune de la crise sanitaire « qui a fait remonter l’exigence d’un réseau numérique de qualité, accessible à tous ». Pour le représentant des opérateurs hexagonaux « à débit équivalent, une antenne 5G consomme dix fois moins d’énergie que son équivalent 4G, notamment parce que ces antennes de nouvelle génération consomment moins et sont capables de s’éteindre en l’absence de trafic mobile ». L’utilisation des fréquences 3,5 GHz permet en effet la mise en oeuvre d’antennes intelligentes dites mMIMO pour Massive multiple input multiple output. Composées de 1 024 petites antennes directives, leurs ondes radio empruntent des chemins directs, à l’inverse des antennes 4G dont le signal ricoche sur les obstacles, ce qui implique davantage de puissance au départ. À volume de données constante, la 5G devrait être théoriquement moins énergivore, en n’émettant qu’à la demande ou en se mettant en veille en l’absence de demande de service.

Alerte en provenance de Chine

À l’heure actuelle, les opérateurs anticipent une hausse modérée de leurs consommations énergétiques, liée au trafic mobile. Hausse qu’ils espèrent compenser par une baisse de la consommation des réseaux fixes grâce au déploiement de la fibre, moins gourmande que les réseaux cuivrés. La FFT rappelle qu’entre 2015 et 2020 la consommation des réseaux fixes a baissé de 1,9 à 1,3 TWh, tandis que celle des réseaux mobiles a progressé de 1,5 à 2 TWh. Directeur du projet numérique au sein du think tank européen The Shift Project, Hugues Ferreboeuf considère ces projections avec scepticisme. Co-auteur du rapport du HCC, il évoque la situation des opérateurs télécom chinois qui déploient la 5G depuis 18 mois: « Ces derniers demandent actuellement à Pékin d’imposer des tarifs spécifiques aux fournisseurs d’énergie. Certains gouvernements régionaux, désireux de voir la 5G se déployer rapidement se mettent à subventionner le coût de l’électricité ».
Un des écueils résiderait dans le fait que la 5G ne remplace pas un réseau, mais se superpose aux antennes 2, 3 et 4G. Impossible de répondre de manière absolue à la question de l’impact environnemental de la 5G résume, Hugues Ferreboeuf. « Tout dépendra de sa couverture géographique. La bande 3,5 GHz doit être déployée pour répondre à la croissance du trafic de données et au problème de capacité des réseaux mobiles dans les zones urbaines denses. Dans les scénarios les moins énergivores, la 5G n’a pas la même couverture que la 4G et dans ce cadre, on n’assistera pas à une inflation des consommations énergétiques des stations de base. En effet, dans les zones à forte densité de population, il n’y aura pas besoin de davantage de relais 5G que de relais 4G. En revanche, la couverture des zones peu denses imposera aux opérateurs d’installer 50 % de relais en plus. Dans les zones à très faible densité, ce sera trois fois plus ! »

Réguler le trafic vidéo

L’enjeu consistera également à maitriser la croissance du trafic pour ralentir les flux les plus voraces, notamment vidéo. La balle serait donc aussi dans le camp des utilisateurs qu’il convient d’informer, La FFT admet que l’accès plus rapide aux données pourrait augmenter la consommation. « Nous ne nous inscrivons pas dans un technologisme béat mais raisonné, avec un déploiement de la 5G progressif, adapté aux besoins des territoires. Nous travaillons d’ailleurs avec l’Ademe pour établir des indicateurs et des méthodes d’évaluation de son impact environnemental », remarque Michel Combot. Des normes de consommation énergétique pour les terminaux et les équipements d’infrastructure réseau pourraient également être mises en place au niveau européen. À titre d’exemple, l’augmentation de la résolution des vidéos – passée de la HD, à la 4K, puis à la 8 K – a multiplié par 32 le nombre de données nécessaires. Au niveau français, l’Autorité de régulation des communications de sensibiliser et d’éduquer sur les impacts de leurs usages de la 5G. électroniques (Arcep) pourrait être mandatée par le gouvernement pour fixer des objectifs contractuels aux opérateurs, suggère le HCC. Ces objectifs reposeraient sur des indicateurs couvrant l’ensemble des dimensions de l’empreinte carbone (infrastructures et modalités de mise à disposition des terminaux fournis à leurs clients). Ces conditions devraient être posées préalablement au cahier des charges des fréquences restant à attribuer pour la 5G (26 GHz) mais pourraient aussi faire l’objet d’une renégociation des fréquences déjà attribuées, à l’image du “New deal mobile” pour la 4G.

Fonctions logicielles énergivores

Une des difficultés à évaluer l’impact environnemental de la 5G tient dans le fait que sa principale évolution n’est pas attendue avant 2024. Cette dernière concerne non pas le segment radio – les fréquences hertziennes –, mais l’architecture même du réseau. Le changement porte sur les fonctions d’infrastructure qui assurent le traitement du signal, l’émission des ondes électromagnétiques, les changements de cellule radio sans interruption de la conversation, etc. Assurées jusqu’à présent par des boîtiers électroniques au niveau des antennes, ces fonctions vont être déplacées dans un centre de données où elles seront gérées par des machines virtuelles.
Cette virtualisation des données doit permettre de lancer les nouvelles applications de la 5G: conduite de lignes de production sans fil en temps réel, développement de véhicules autonomes intégrant des liaisons de voiture à voiture, chirurgie à distance, etc. Or comme l’indique Guy Pujolle, professeur émérite à Paris- Sorbonne, spécialiste des réseaux très haut débit, « les fonctions sous forme logicielle consomment énormément d’énergie. En revanche, une bonne gestion de la virtualisation, du refroidissement et du regroupement de plusieurs antennes sur un même centre de données, devrait déboucher à une consommation sensiblement identique à celle de la 4G, à périmètre comparable. Cependant, l’augmentation du trafic et du nombre d’objets à connecter devrait induire une augmentation sensible de la consommation énergétique. De même, les nouveaux centres de données devront être situés à 10 km maximum des antennes, ce qui compliquera l’équation environnementale en milieu rural ». L’auteur de l’ouvrage “Faut-il avoir peur de la 5G?” paru en septembre 2020 (2) reste optimiste. Il précise que cette phase trois des spécifications de la 5G peut encore améliorer le bilan carbone globale de la technologie. Des travaux seraient en cours en vue d’introduire de nouveaux algorithmes intégrant des progrès conséquents en matière de consommation énergétique.

(1) Maitriser l’impact carbone de la 5G, rapport du Haut Conseil pour le Climat, décembre 2020
(2) “Faut-il avoir peur de la 5G ?” Guy Pujolle (Larousse, septembre 2020)

Déploiement en trois phases
Les enchères clôturées en novembre 2020 portaient sur l’attribution des fréquences de la 5G sur la bande 3,5 GHz. Il n’y a pas de différence fondamentale en termes de codage du signal et de méthode de multiplexage entre l’interface radio 4G et 5G. Outre ses bandes dédiées (3,5 GHz et 26 GHz), la 5G utilise avec certes une moindre efficacité, des bandes de fréquences plus basses exploitées aujourd’hui en 2G, 3G et 4G. Tout dépend des stratégies des opérateurs et de la disponibilité des équipements. Au 1er avril dernier, l’Agence nationale des fréquences (ANFR) comptabilisait 14300 sites 5G opérationnels dont 2 700 dans la bande 3,5 GHz. Mais les Orange, SFR, Bouygues et Free devront accélérer. En effet l’Arcep a fixé, pour chacun d’entre eux, l’objectif de conversion d’antennes existantes à la 5G à 3 000 en 2022, 8 000 en 2024 et 10500 en 2025. La bande 26 GHz dite bande “millimétrique” de la 5G, avec des fréquences très élevées jusqu’à présent utilisées pour les liaisons satellitaires ou d’infrastructures n’est pas encore ouverte. Elle est caractérisée par un très haut débit, une latence très basse, mais une faible propagation et une mauvaise pénétration à l’intérieur des locaux. Son déploiement dans un second temps en France se fera de manière très ciblée pour couvrir des zones limitées à fort trafic (hot spot), majoritairement pour les entreprises et marginalement pour le grand public (stades, terminaux de transport, etc.). Les spécifications de la partie “radio” de la 5G, actuellement en cours de déploiement, ont été adoptées en juin 2018 par le groupement des organismes de normalisation en télécommunication (phase 1). La révolution de l’architecture du coeur de réseau 5G a été engagée dans un second temps et de manière indépendante. La définition du réseau coeur et du réseau d’accès ont été spécifiés en juin 2020 (phase 2). La finalisation interviendra en juin 2022 (phase 3) avec la définition des applications. Cette dernière phase permettra l’arrivée des fameux centres de données en sortie du réseau d’accès et à l’entrée du réseau coeur pour une mise en service de la Full5G en 2024.Ils prendront en charge, tous les services applicatifs et tous les services de l’infrastructure numérique.

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