« Peu à peu, le transport trouve sa place »
Au cours de la 4e période du dispositif des certificats d’économie d’énergie, le secteur des transports semble avoir été peu actif. Caroline Meunier, cheffe du pôle transport et mobilité chez TotalEnergies et présidente du groupe de travail transports au Club C2E, bat en brèche cette analyse : selon elle, le transport est bien présent et sa place est amenée à croître.
Quel bilan tirez-vous de la place du secteur des transports dans la 4e période du dispositif ?
Caroline Meunier : Sur cette 4e période, le transport ne représente que 2 % du volume des fiches d’opérations standardisées (FOST) déposées. C’est très peu, surtout si l’on considère qu’il émet un tiers des gaz à effet de serre (GES) de notre pays… Mais ce chiffre ne prend en compte que les fiches standardisées. Or pour faire un bilan complet, il faut aussi regarder les opérations spécifiques et les programmes d’accompagnement, qui sont les deux autres voies de production des CEE. Malheureusement, nous n’avons pas de données sur ces deux leviers, et nous ne pouvons donc pas connaître la place réelle des transports dans le dispositif.
Existe-t-il beaucoup de programmes ainsi que d’opérations standardisées ou spécifiques dans les transports ?
Tout à fait ! Par exemple, au cours de la 4e période, 79 % des opérations spécifiques étaient lancées dans ce secteur. Certes, nous avons un effort à faire pour créer des FOST : seules 34 des quelques 214 existantes sont liées au transport. Mais il faut comprendre que le secteur est entré tardivement dans le dispositif, qui à l’origine a été pensé pour le bâtiment. Aujourd’hui, notre place progresse. Ainsi, les opérations spécifiques menées dans le secteur donnent parfois lieu à des FOST. C’est par exemple le cas de deux fiches qui verront le jour cet automne et concernent toutes les deux le covoiturage, l’une pour les courtes distances et l’autre pour les longues distances. Quand une opération peut être reproduite, qu’il y a une demande et un volume suffisant, une fiche standardisée est rédigée.
Et qu’en est-il des programmes ? 28 des 52 actuellement en cours concernent les transports…
Dans le dernier appel à programme de 2022, deux des trois axes impliquent les transports. Le premier était dédié à l’« accompagnement à la mobilité économe en énergie en faveur des publics précaires ». Aujourd’hui, il existe en France une vraie précarité de la mobilité. Cette thématique était peu traitée par le secteur, c’est la première fois qu’un appel à programme l’aborde directement. Seul le programme Wimoov, qui se termine fin mars 2023, s’y attaquait déjà [mais dans le cadre d’un appel à programme sur la précarité énergétique en général, ndlr]. Le deuxième axe portait sur les « outils et accompagnements de la mise en œuvre de la logistique durable ». Il a pour but de former les collectivités et les entreprises aux bénéfices de la mise en œuvre de la logistique durable, de leur fournir des éléments favorisant le passage à l’acte et de proposer des actions de déploiement des bonnes pratiques.
La logistique durable implique aussi le déploiement d’infrastructures de report modal…
C’est sur ce point que la France est vraiment en retard. Il y a par exemple deux fois moins de ferroutage dans l’Hexagone qu’en Allemagne. Nous avons de grands ports mais ils sont beaucoup moins bien dotés que Rotterdam ou Anvers par exemple, où des plateformes multimodales permettent de passer directement de la mer au fleuve ou au rail. Aujourd’hui en France, 95 % du secteur du transport se fait par la route ! Or un train qui émet 3 tonnes de CO2 transporte autant de marchandises que 45 poids lourds qui émettent au total 44 tonnes de CO2. Une barge qui émet 36 tonnes de CO2 transporte autant de marchandises que 125 poids lourds qui émettent 123 tonnes de CO2. La différence est énorme. En France, nous manquons encore d’une vision globale de la chaîne de transport. Le dispositif CEE a un rôle a jouer pour changer cela, et notamment pour développer ces infrastructures. Deux programmes CEE me viennent particulièrement à l’esprit : Remove (voir page 34) et Eve 2.
Pouvez-vous les décrire ?
Remove, qui va démarrer bientôt, pour se terminer en décembre 2025, consiste à accompagner les filières rail, mer et fleuve pour accélérer le développement à grande échelle du report modal des marchandises. Il prévoit des formations, l’obtention de labels, la mise en place d’infrastructures, etc. Il s’agit de fluidifier le transport, en évitant par exemple les ruptures de charge dues aux plateformes de chargement et de déchargement. Eve 2, qui se termine fin 2023, s’adresse aux transporteurs, chargeurs et commissionnaires de transport. Il ambitionne de les aider à améliorer leur performance énergétique et environnementale, notamment en facilitant le report modal et en diminuant les émissions du transport par poids-lourds. Outre les infrastructures physiques, il y a aussi des infrastructures digitales…
Quelle est leur importance ?
L’avenir du transport passera aussi par le digital, grâce à des plateformes d’optimisation du report modal, à des outils de diminution des consommations, à des plateformes pour développer le covoiturage, etc. Cela pourra aussi donner lieu à des opérations spécifiques.
Quelles sont les autres pistes d’action envisagées pour mieux intégrer le transport dans le dispositif des CEE ?
Comme je le soulignais, le covoiturage est intéressant, il a fait l’objet d’opérations spécifiques, qui se transforment aujourd’hui pour certaines en fiches standardisées. Cela permet d’optimiser la charge d’un véhicule. Il y a eu beaucoup d’opérations et de programmes pour développer la pratique du vélo et les infrastructures qui vont avec. Un programme en cours dans la Métropole de Toulouse, EcoMode, encourage les particuliers à passer à des modes de déplacements peu consommateurs en énergie fossile. Il repose sur des incitations positives, avec des cadeaux à la clé. Nous travaillons ainsi avec des villes ou des régions pour développer la mobilité douce. Face à l’enjeu climatique, il y a une demande en transport aujourd’hui de plus en plus importante. Il faut aujourd’hui adresser ce besoin tout en tenant compte des enjeux du Pacte vert pour l’Europe. Le secteur est encore très polluant, et il a toute sa place dans le dispositif des CEE.