HyFlexFuel transforme les boues organiques en carburants

04 10 2021
Caroline Kim-Morange
Aarhus University
Installée à l’Université d’Aarhus (Danemark), l’usine pilote du projet HyFlexFuel transforme en biocarburants différents types d’intrants comme des boues d’épuration, des déchets alimentaires, du fumier, de la paille de blé, des tiges de maïs, de la sciure de pin, du miscanthus et des microalgues.

Quelles alternatives aux énergies fossiles pour alimenter le secteur du transport ? Le projet HyFlexFuel, qui vient de se terminer, a exploré les potentialités prometteuses de la liquéfaction hydrothermale pour produire des carburants à partir de biodéchets aqueux.

Mi-septembre 2021, les représentants du projet HyFlexFuel ont annoncé être parvenus à produire des carburants liquides durables à partir d’une large gamme de déchets et de sous-produits issus de la biomasse, en recourant à la liquéfaction hydrothermale (abrévié HTL, de l’anglais « hydrothermal liquefaction »). C’était l’objectif du projet HyFlexFuel, lancé en 2017 et qui s’est achevé fi n septembre 2021. Ce projet, financé par le programme- cadre de recherche européen Horizon 2020, regroupait dix centres de recherche et entreprises issus de six pays européens, principalement l’Allemagne et le Danemark. Le principal résultat est technologique : les partenaires sont parvenus à transformer en carburants des intrants tels que des boues d’épuration, des déchets alimentaires, du fumier, de la paille de blé, des tiges de maïs, de la sciure de pin, du miscanthus et des microalgues.

350°C, 200 bars

L’usine pilote, installée à l’Université d’Aarhus (Danemark), traite des boues de biomasse ayant une teneur en matière sèche variant entre 15 et 20% à des températures allant jusqu’à 350 °C et à des pressions de quelque 200 bars. Dans ces conditions, l’eau ne bout pas tout en restant à l’état liquide. Ce traitement convertit la biomasse en une bio-huile brute en une vingtaine de minutes. Les flux de biomasse peuvent être mélangés. Ils doivent parfois être pré-traités (ajout d’eau ou au contraire centrifugeage, ou ajout d’hydroxyde de potassium). « Le réacteur est composé d’un tuyau de 1,5 cm de diamètre et de 140 m de long. Il a une capacité de traitement de 60 litres de biomasse par heure. C’est déjà un réacteur industriel ; pour atteindre une production industrielle il faudrait juste multiplier le nombre de réacteurs », explique Valentin Batteiger, de l’institut de recherche allemand Bauhaus Luftfahrt, coordinateur du projet Hyflexfuel.

Dans un deuxième temps, le bio-brut subit un traitement catalytique par hydrogène, à haute température et haute pression. C’est l’Université danoise d’Aalborg qui a mené ce volet des recherches. La majeure partie de l’oxygène et de l’azote contenus dans le biobrut est alors éliminée. Cette phase est fortement demandeuse en hydrogène, ce qui augmente le coût de la technologie. Des réflexions pour récupérer l’hydrogène du procédé ou produire de l’hydrogène vert ont donc été entamées par les partenaires du projet. Dernière étape, la distillation des biobruts HTL améliorés pour produire des carburants, tels que du kérosène ou des diesels. Elle a été explorée par l’Université d’Aalborg. L’énergéticien italien Eni a de son côté étudié le co-raffinage des biobruts HTL et des biobruts partiellement améliorés dans des raffineries de pétrole brut conventionnelles.

Valoriser les sous-produits

Le projet s’est aussi intéressé aux sous-produits issus de l’HTL. Afin de valoriser la phase aqueuse issue du traitement de la biomasse par HTL, deux voies ont été explorées. En premier lieu, la gazéification hydrothermale catalytique par l’Institut suisse Paul Scherrer. Elle consiste à convertir, dans des conditions supercritiques, la teneur organique de ce sous-produit aqueux en un mélange gazeux de dioxyde de carbone (CO2), de méthane et d’hydrogène qui peuvent être valorisés énergétiquement. En second lieu, la digestion anaérobie par la société belge OWS. Enfin, l’Université allemande de Hohenheim s’est attachée à extraire le phosphore dissous dans les sous-produits tant solides qu’aqueux.
En outre, l’objectif central de HyFlexFuel était de faire progresser la maturité technique de la technologie de liquéfaction hydrothermale pour fournir des carburants vraiment durables. Toutefois, le projet veillait aussi à ce que la technologie soit compatible avec les infrastructures existantes et qu’elle puisse atteindre des coûts compétitifs. Ainsi, l’institut de recherche allemand sur la biomasse DBFZ a évalué les ressources en biomasse potentielles dans les différents pays européens. Il a rendu fin 2019 un rapport sur la disponibilité en Europe des matières premières candidates : sous-produits de l’agriculture, déjections animales, boues d’épuration, part organique des déchets ménagers. « Si l’on valorisait par HTL la totalité des flux de matière première ainsi identifiés, ce sont entre 40 et 59 millions de tonnes de carburant HTL qui pourraient être produits, soit 100 à 150 % de la demande européenne en carburants pour l’aviation », conclut le rapport.

Quid des boues d’épuration

Comme le montrent les cartes produites par DBFZ, la France est souvent bien placée dans ce domaine. Toutefois, DBFZ n’a pas toujours pris en compte les particularités de chaque pays. Ainsi, en France les boues d’épuration sont en majorité épandues en agriculture, et elles ne seraient donc pas disponibles pour un réacteur HTL. Par contre, l’institut a bien acté le fait que la part organique des déchets ménagers n’est quasiment jamais collectée de manière séparée dans l’Hexagone, ce qui empêche à ce stade leur valorisation par HTL. À l’inverse, en Allemagne, en Suisse, en Autriche où l’épandage est interdit et où la collecte séparée est largement répandue, la situation est différente. La situation locale modifie donc la rationalité économique de la solution HTL dans chacun des pays d’Europe. Pour prendre un exemple, d’après les calculs réalisés par Eni, en Italie la rentabilité d’une usine de distillation utilisant une part de bio-brut produit localement par HTL ne pourrait être atteinte que grâce aux revenus générés par la prise en charge des boues d’épuration.

Alternative pertinente

Parmi les avantages de la technologie figure sa grande souplesse : elle peut être alimentée par des flux de biomasse aqueuse très variés. L’HTL offre une alternative de traitement pour bon nombre de déchets organiques. Son coût de production serait aussi inférieur à celui de la plupart des autres modes de production de biocarburants, si ce sont des déchets qui sont traités : « largement inférieurs à un euro par kilo de carburant amélioré produit », selon Valentin Batteiger. L’impact carbone a aussi été évalué. « Le réacteur HTL a surtout besoin d’énergie thermique, qui est fournie par une chaudière à gaz puis par récupération de chaleur sur le procédé lui-même. Selon le type de biomasse et les réglages, nous sommes parvenus à atteindre des taux de retour énergétiques variant entre 3 et 7 », poursuit-il. Dans l’installation pilote, entre 75 et 85 % de la chaleur initiale est en effet récupérée par échangeur de chaleur.

Carburants pour l’aviation

HyFlexFuel avait notamment pour ambition de prouver qu’il est possible de produire grâce à la technologie HTL des carburants adaptés au transport aérien. Conclusion : « les fractions de kérosène du biobrut valorisé présentent des compositions similaires à celles des carburants d’aviation existants », estime Daniele Castello, chercheur à l’université d’Aalborg. La concentration en certains composants traces, notamment l’azote, doit être encore réduite pour se conformer aux spécifications strictes du secteur de l’aviation civile. En outre, les biobruts produits par HTL contiennent des concentrations trop élevées en métaux et autres contaminants (fer, phosphore…) pour être distillés sans risque pour les catalyseurs. Un important travail reste donc à mener. D’après Valentin Batteiger, des entreprises comme Steeper Energy ou bio2oil seraient intéressées pour commercialiser la technologie. L’HTL pourrait entrer dans une phase industrielle dès le milieu des années 2020.

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